Les racines de bananiers...

Publié le par L'occidentale

En ramenant une amie qui se logeait pour quelques jours dans un des hôtels du quartier touristique, dit « routard », de Sai Gon (qui se résume presque à une seule rue : la rue Pham Ngu Lao), j’ai été violemment tiré de mon monde vietnamien. Un étonnement qui m’a fait faire une tête plus que mi-figue mi-raisin, bref avec une tête avec laquelle on aurait pu faire une bonne salade de fruit.

D’un seul coup, en passant par ce quartier vers 22h, j’ai été la contemplatrice d’un autre monde, qui, pourquoi pas, aurait pu être le mien, mais qui m’est apparu comme un monde d’extra-terrestre : le monde des soit disant « routard » qui peuplent les milles et un hôtel du coin et qui en sont les principaux habitants. D’un seul coup, je me suis souvenue qu’il y avait d’autres occidentaux que moi sur cette planète « hello, motobyke madame ? ». Mais alors, quelle vie éloignée de la mienne cette communauté a-t-elle !!

Certes, tout le monde n’est pas là pour 3 mois et demi. Certes, tout le monde ne parle pas vietnamien, et loin de là. Certes, tout le monde ne voyage pas de la même manière. Certes. Mais tellement prise dans la vie que je mène ici, ça m’était complètement sorti de la tête. Venant pour beaucoup du même monde, j’étais ici encore « victime » d’un autre genre de choc culturel : celui de la façon de voyager.

Ils étaient « tous » là. Entassés dans un bar au coin d’une rue. Un brouhaha se dégageait de cette boite de sardine en plein air. On aurait dit un bar bien fréquenté d’une rue de Paris en été. Mais jamais je me serais crue au Viet Nam. Non. Je crois que si j’avais vu une simple image de ce qui était à ce moment là sous mes yeux, jamais je n’aurais pu deviner qu’elle eu été prise dans ce pays des nems en folie…


Alors ?


Alors plusieurs remarques.


Tout d’abord, je vous avoue que j’ai du mal à comprendre cette espèce, peu rare malheureusement, atterrie sur ce coin de planète pour se retrouver entre touristes… Je rentre dans l’hôtel chercher mon amie : deux couples de français, séparés par une table, mangent un petit déjeuner français. Faire plus de 10.000 km pour se retrouver à 2 tables de compatriotes …. Quel voyage ! Certes, il est vrai qu’un touriste novice, par inexpérience et ignorance et appréhension, aura sans doute tendance à se loger dans les multiples adresses que l’on trouve dans les guides touristiques qu’il se sera procuré pour ne pas se sentir trop paumé une fois sur place. Dormir dans un de ces hotel, quoi de mal ! Mais vivre et voyager dans ce quartier, quel aventure si j’ose dire !


J’aime observer. Contempler les gens dans la splendeur de leur diversité. Aussi me suis-je assigné la tache de me planter dans un café pas trop loin pour admirer cette faune sans grande diversité malheureusement, de touristes délavés.


Suite à cela, je  voudrais vous parler du touriste « routard ». Le touriste de ce quartier est un animal à deux pattes qui se distingue des autres animaux par sa capacité à rugir sans qu’il ait véritablement grand danger, et qui s’en rapproche par sa naturelle tendance à se rassembler en meute de ses semblables. Le touriste se distingue facilement des autochtones par plusieurs points. Tout d’abord l’accoutrement. Le touriste au Vietnam est accoutré d’une garde de robe très reconnaissable : un short, un grand T-shirt ou un débardeur pour les filles, et des sandales ou des tongs. Il est vrai que peu accoutumé au climat sans pitié de ce pays, il est plus supportable de se parer de vêtements de «routard ». Le touriste d’Ho Chi Minh Ville ressemble ici à un randonneur en Haute Savoie : près à affronter tous les éboulements de cailloux, la pluie, la chaleur… Et, comment aurais-je pu oublier, les coups de soleil. Le touriste est aussi découvert que les Vietnamiens sont habillés en esquimaux alors que l’on est en plein été. Il est ainsi facilement identifiable.

               Le touriste occidental est aussi très reconnaissable par son gabarit pour lequel il n’y est pour rien : ce sont des Gulliver au pays des Lilliputiens.


               Pour terminer ce portrait, je parlerais de la passion qu’il voue à la photographie. Les images exotiques qu’il peut engranger est une des raisons pour laquelle il se ballade avec un énorme appareil photo autour du coup, l’alourdissant de 2 ou 3 kilos supplémentaires. Il s’arrête à chaque 50 mètres pour mettre en boîte une travailleuse pauvre, qu’il trouve joliment exotique à cause des palanquins qu’elle se tue à porter sur ses épaules fatiguées et son chapeau conique pour la protéger du soleil, afin que sa peau puisse trahir le moins possible la catégorie sociale à laquelle son métier lui fait appartenir. Pourquoi pas photographier un éboueur en France ? C’est la même chose. En moins glamour peut être ? En moins exotique surtout…

Ensuite, allons voire du coté des soit disant compatriotes : le touriste routard français. Celui-ci est traditionnellement pourvu du guide de voyage le routard, qui lui indiquera comment voyager « autrement ». En réalité, et je ne vais surement pas en étonner plus d’un, ce guide est une pure propagande de comportement colonial.


Routard : n.m., familier, celui qui fait la route. Familièrement, celui qui voyage avec peu de moyens…Selon le Larousse. Ce mot évoque un personnage voyageant le plus souvent seul ou en mini-groupe, fréquentant si possible les sentiers vierges et peu empruntés, près à faire face à toutes les situations, qui s’aventure sans peur et méfiance dans un autre monde que le sien, avec un sang de préférence froid et une tranquillité surprenante. C’est cette image que m’inspire ce mot. Routard.


Le routard franchouillard est il en voix de disparition ? Ou a-t-il aussi été victime d’une sorte de changement climatique ?


On observe effectivement des touristes muni de ce bouquin ou se déclarant comme routard qui se comportent en bons colons. Et vasy pas que je hausse la voix parce que la chambre n’est pas à ma convenance, que le gout de se gigot n’a pas grand-chose avec celui que l’on mange en France, et « takataka boum » comme résumerait mon vénérable maître (Desproges pour ne plus le citer).



En 1926 parait Cochinchine de Léon Werth, homme décrit comme ayant été romancier, humoriste et critique d’art et qui, s’y l’on en croit ses écrits à plus que poser un seul pied sur la terre vietnamienne, écrivait :


« L’Europe me manque. C’est un fait. Ce n’est point un fait simple. Je n’ai point la nostalgie de l’Europe quand je me promène dans les quartiers des indigènes. J’ai vu la brousse. L’Europe ne me manquait pas. Dans cette nouveauté du climat, des êtres, je n’arrive point à imaginer ce que pourrait être l’ennui. Mais l’Europe me manque quand je suis avec les Européens. L’annamite et le chinois restent mystérieux pour moi. L’Européen d’ici est sans mystère, facile à lire. Mais il n’a plus rien d’Européen. Je ne sais quel voyageur a raconté l’histoire d’un nègre qui se promenait tout nu, coiffé d’un chapeau haut de forme. Ce nègre croyait ainsi participer à la civilisation des Blancs. Ce que ce nègre pouvait imiter de la civilisation européenne, c’est à peu près ce que les coloniaux en ont gardé.

                Vous entendez bien qu’il y a des exceptions. […]

Les coloniaux ne sont qu’une caricature d’Européens. Les plus fins d’entre eux sont parfois capables de saisir les étapes de cette transformation. On en donne d’ordinaire des causes inexactes : le climat, le soleil, l’isolement, le cafard, l’alcool, l’opium. En vérité, il n’en est point d’autre que la tradition et la coutume. Il y a une tradition des mœurs coloniales. Elle est plus forte que la protestation de la raison et du cœur.

[…]

C’est que tous, du gouverneur au gendarme, ayant connu en Europe la contrainte sociale ou la discipline, sont devenus en Asie des potentats. Voici, privés de contrainte extérieure, des hommes qui n’en connaissent point d’autre. Ils sont aussi victimes d’un formidable décalage social. Ils subissent l’ivresse du nouveau riche à un degré qui n’est point imaginable en Europe. Car ils n’ont pas seulement cette puissance que donne l’argent. Ils ont la puissance. La couleur de leur peau et la saillie de leur nez leur confèrent une immédiate royauté. […]

L’Européen d’ici est semblable au vin qu’il boit et qui ne rappelle le vin que par l’étiquette et le nom. […]

J’avais méconnu la mission sociale du chauffeur de taxi. Quand il n’était point d’une absolu courtoisie, il m’arrivait de prendre parti contre lui. Mais le monde est ainsi fait Un chauffeur de Belleville manque ici pour assainir la rue, pour créer des mœurs. Je ne dis pas qu’un Européen moyen ait une idée très nette de la civilisation spirituelle. Mais l’Européen d’ici en a perdu toute notion.

[…]

L’exceptionnel colon annamitisé a perdu l’Europe. Mais il a acquis quelque chose. Le colonial a perdu l’Europe, mais il n’a rien gagné en échange. »

Quel drôle de témoignage…Il suffit de remplacer colonial par pur touriste, et on s’y croirait. D’ailleurs il n’est pas absolument nécessaire de modifier quoi que ce soit pour en comprendre l’actualité de ce qui est décrit là il y a presque un siècle….


La bible du routard ne fait qu’encourager la méfiance naturelle est déjà présente du voyageur qui se rend dans un pays au niveau de vie largement plus bas que son pays d’origine.  « Faites attention au voleur… » un peu plus loin  « faite attention, négociez les prix », « veillez à ne pas être victime d’une surenchère des prix à la vue de votre origine… », « méfiez vous des vendeurs de rue qui ont tendance à faire augmenter les prix à votre approche… » Etc… Quelle image cela donne-t-il du pays et des gens qui le peuplent !!! Ainsi, une sur attention sera porté à tout ce qui concerne l’argent : « attention, il faut vraiment négocier les prix, ne pas se faire arnaquer, avoir tout le moins cher possible »… et puis, combien tout est peu cher !  « allez, achetons, ca ne fait qu’un euro ! Soyons consommateur…  De toute façon, on fait marcher l’économie locale », se dira t il par soucis d’éthique qui perce alors parfois son esprit. Il chipotera les prix et s’emportera d’indignation en voyant la différence de prix qu’il peut parfois exister selon s’il s’agit d’un étranger ou d’un local… « Ce n’est pas normal, c’est un scandale ! » Et les étrangers à Paris, paient ils la même chose que les Français ? Qui se voient proposer « a small or a medium » bière alors qu’il n’y a qu’une grande et une petite bière et que les locaux, eux, par habitude et part encrage social et coutumier n’ont pas à se faire entourlouper de cette honteuse manière ? Qui se voit offrir des services plus chers lors des tours organisés dans une même selon son origine ? Etc…

Alors qu’ici, le salaire moyen tourne autour de 140€ par mois (ce qui, ne vous faites pas d’illusion, n’est pas assez pour vivre, même dans ce pays en voix de développement où le cout de la vie est nettement moins élevé qu’en France) et qu’il est en France d’environ 1880 € selon l’INSEE, beaucoup de soit disant routards (riches ou non) refusent de payer quelques dollars de plus pour une entrée dans un temple par exemple, alors qu’il est peut être normal qu’il en voit le vrai prix… auquel les vietnamiens ne pourraient se plier, alors qu’il s’agit de leur ressource culturelle… D’où un deuxième tarif qui correspond à un juste prix pour les locaux…


Bref, sur ce, je vous laisse consulter un article paru sur voyages.libérations.fr le 8 Juillet 2009 et écrit par Emilie Buono, et qui s’intitule «  Les Français réélus les pires touristes au monde »…. (cf : http://voyages.liberation.fr/actualite/les-francais-reelus-pires-touristes-au-monde). Ca ne m’étonne pas, étant appelés «  racines de bananiers » par les guides touristiques francophones vietnamiens, en référence à la période de guerre où ces racines étaient les dernières choses que les gens mangeaient quand ils n’avaient vraiment rien à se mettre sous la dent…

Publié dans Un peu de piment...

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C
<br /> Quels formidables articles inspirés de romantisme et de réels, sans complaisance ni négligence me laissent deviner le beau voyage que demain je ferais en mon fort intérieur..<br /> J'ose imaginer briser mes paradigmes et mes croyances obscures et laisser tomber à jamais les dernières résistances qui entravent mon pauvre quotidien.<br /> <br /> Si, à vingt ans, vous êtes capable de parler avec tant de lucidité du voyage et de l'existence, c'est que déjà vous avez du les expérimenter dans une autre vie que beaucoup d'humains voudraient<br /> connaître mais qu'ils n'osaient se l'avouer.<br /> <br /> Vous êtes magnifique..<br /> <br /> Christophe<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci pour votre magnifique et touchant message...mystérieux aussi... Vous me faite voyager aussi, par votre message poétique et profond.<br /> <br /> <br /> <br />