Questions existencielles
Ce n’est pas à l’exercice narcissique, psychanalytique, littéraire et mémoriel qu’est l’autobiographie que je veux me prêter. Enfin, si peut-être : le coté narcissique peut très bien m’aller tandis que l’exercice littéraire est en fait totalement ma visée. Il faut bien que je me l’avoue : je suis une pseudo-écrivain. Pas besoin de se l’avouer en réalité : c’est une évidence qui est née en même temps que mon goût pour l’écriture. Ce n’est pas dans un souci de pseudo humilité là aussi, que je me dis ça. Il s’avère malheureusement que c’est vrai. D’ailleurs, je n’ai jamais vraiment pu me relire sans avoir en tête cette petite lumière rouge qui clignoterait comme pour m’avertir : « attention, ne te prends pas au jeu, ce que tu lis n’est que ta propre écriture, digne d’être laissée dans le fin fond du disque dur de ton ordinateur ! » C’est d’ailleurs ce qu’il se passait : Mes écrits se languissaient dans le marécage informatique de ma machine à écrire.
A huit ans, on écrit des histoires d’enfant, des petits poèmes d’innocence sur fond rose bonbon. A douze ans, ce sont des petites bribes de nous-mêmes, avec ce même regard enfantin de la vie. En les relisant, on trouve ce moi collé à la vie comme un bébé kangourou dans la poche du ventre de sa mère. Même loin d’être de la grande littérature, c’est un genre que l’on peut alors qualifier de grande innocence. Et puis à quinze, seize ans, on écrit sa déchirure avec ce plein profond, cette insouciance de la vie. On écrit son enfance qui commence à s’éloigner de la rive, comme a pu le dire en mille fois plus incompréhensiblement poétique Monsieur Yves Bonnefoi. Mais ce qu’on écrit à vingt ans, je ne le sais pas plus que le contenu du mot futur. Peut-être écrit-on la dérive de son navire dont le mode d’emploi de sa proue nous reste encore un mystère. Ce qu’on écrit à vingt ans, ça ressemble à des mouchoirs en papier qu’on jette après y avoir déposé ses incertitudes et désillusions liquides.
Alors c’est parti, je m’adresse une fois de plus à mes amies les lectrices les plus fidèles : les poubelles.
Je m’appelle Ariane et j’ai 20 ans. On m’appelle aussi parfois Liên. Pas grand-chose à voir avec Ariane. Vous allez comprendre plus tard. L’identité, un des grands points d’interrogation générale de la jeunesse. Je suis la fille d’un homme et d’une femme. Bon là au moins, je ne m’aventure pas sur des terres inconnues. Je suis celle qu’ils sont allé chercher dans un labyrinthe de plus de vingt-quatre ans de vie commune. Je suis la fille d’un homme et d’une femme qui se sont aimés, ce qui n’est pas forcément le cas de tout le monde, malheureusement.
Je suis celle qui est devenue moi-même.
En fait, voilà peut être pourquoi je me prête avec un délice et une appréhension colorée à cet exercice périlleux de l’autobiographie : les mots qui s’alignent, c’est le fil qui, à travers le dédale du foutoir de la vie, m’emmène d’une façon tordue à moi-même, à mon identité. La quête du graal. Une entreprise très prisée si j’en crois les centaines de livres nombrilistes qui trônent sur les étalages des milliers de librairie et supermarchés dans le simple but que la poussière soit un peu plus remuée par les feuilletages des clients que si elle tombait sur la surface brute et lisse du comptoir. Je suis dure. On me l’a souvent dit. Je suis facilement sans pitié. Voilà, on peut commencer la liste d’adjectifs se rapportant à ma petite personne et mon grand égo.
Quand on écrit une autobiographie et qu’on n’en a pas de talent, je vous entends déjà tirer la conclusion : « eh bien on n’écrit pas ». Bon, admettons alors qu’on a la foi. Donc, disais-je, quand on a le culot d’écrire ce genre d’œuvre d’art tout en sachant que ça sentira le plastique à plein nez, il y a une chose qui s’avère difficile, et qui peut rebuter à l’écriture (en plus de l’absence de talent) : c’est le commencement. Comment commence t on son autobiographie ? Je veux dire… Je ne me vois pas étendre le carnage en débutant mon récit par mes premiers babillements sans originalités, mes premières couches et mon premier cartable (en tissu orange et brun pour tout vous dire).
On peut commencer aussi là où en est dans la vie quand on commence à écrire. C’est ce qui m’a paru le plus simple au premier abord, mais arrivé à un certain stage, il fallait user de flash back, dont je ne me maîtrisais pas -et ne maîtrise toujours pas encore- la technique. Mais n’ayant pas de recours de secours, c’est quand même, par désespoir, que j’ai fait ce choix. Oh bien sûr, j’aurais pu aussi faire ça à la Perec. Mais ça, ça s’appelle du plagia. Et même étant une écrivain arriviste, je souhaite garder mon intégrité et le peu de créativité dont je peux faire preuve.
Alors me voilà, seule, un verre de lait chaud et un biscuit au chocolat, assise sur la moquette de ma chambre, à essayer de me creuser la cervelle en tapotant sur les touches à peine sales de mon clavier d’ordinateur.
En fait, le pire dans cette histoire, c’est que je rêve de bien écrire. Je voudrais devenir écrivain-journaliste. Je voudrais faire des textes qui pourraient provoquer les larmes, le rire, la réflexion…et pourquoi pas la révolution pendant qu’on y est ! On peut toujours rêver, et puis tant qu’on n’a pas déjà essayé, on ne peut pas savoir. Mais quand même, ce n’est pas la première fois que j’essaie. Peut être qu’un jour ça viendra. En attendant que ça vienne j’écris. Ou plutôt, je couche des mots virtuels sur du papier virtuel. C’est toujours mieux que de regarder des séries américaines à la guimauve en pot. Ce qui ne m’empêche bien sûr pas de faire les deux.
Souvent, je me dis que si je ferais une psychanalyse, je trouverais matière à écrire. Je trouverai les petites clefs de mes propres mystères, que je livrerais aux lecteurs après les avoir bien fait mousser dans un suspens insoutenable et une sainte humanité. Mais non. Je ne sais pas pourquoi, je n’arrive pas encore bien à m’imaginer lors de ma première séance chez un psy, répondre à sa traditionnelle question, à savoir ce qui m’amène ici, par un : « eh bien, c’est parce que j’ai besoin d’une intrigue pour écrire un livre ». D’ailleurs, cela supposerait, ô quelle prétention, que ma vie serait une histoire pleine de rebondissements et assez digne pour en faire un livre. J’avoue que mon orgueil s’est un peu développé ces derniers temps. Mais n’empêche, je me prête à croire que toute histoire de vie vaut un roman. Alors pourquoi pas la mienne ?!
D’ailleurs, si on parle du passé proche, j’ai pas mal de choses à raconter. Mais pour en comprendre le sens et remettre tout ça dans le contexte, il va falloir que je revienne en arrière de quelques années. C’est ce qu’on appelle la technique du flashback, cette fameuse technique que je suis loin de maîtriser.
Curieusement, lorsque je suis allée voire la psychanalyste, ce que je lui ai avancé comme raison de ma visite maladive n’était pas d’être sans inspiration pour écrire un roman inspiré de ma vie.
Récemment, j’ai dégringolé du dernier étage d’un immeuble psychologique long de sept années, rien qu’en passant trois mois et demi dans un pays que j’avais légèrement idéalisé sur les bords depuis ma plus jeune adolescence.
Toujours dans cette même quête du graal, à savoir celle de mon identité, j’ai décidé d’être passionnément amoureuse du Viet Nam vers l’âge de treize ans. On peut envisager cet évènement de deux façons : soit c’est quelque chose qui, consciemment m’est tombé brutalement dessus, soit c’est le résultat d’un long processus mystérieux et surtout inconscient. Et comme c’est souvent le cas, les deux sont loin d’être incompatibles.
Si l’on s’interroge sur les mécanismes relevant de l’inconscient, comme c’est le cas quand on est allongé sur la confortable banquette dans le cabinet du psychanalyste, on peut penser que cette passion n’est pas un hasard, contrairement à ce que l’inconscient veut bien nous faire croire. Effectivement, à l’âge de la construction de l’identité, il parait qu’on se cherche toute sorte de prétextes pour se trouver, pour couper ce cordon ombilical encore et toujours bien présent. Chacun prend ce qu’il trouve, pour rejeter, façonner, créer, adapter valeurs, expériences, intérêts… Ce petit jeu de Memory peut aller bien loin…Bien loin puisque cela à pu me conduire jusqu’au Viet Nam.
A un Noël, j’ai reçu une écharpe cambodgienne que ma grand-mère, tout juste revenue d’un voyage dans ce pays, m’avait offert. Ce Noël là, on avait regardé ses souvenirs de vacances dans cette contrée lointaine et je me souviens avoir retenu courageusement mon souffle en contemplant la photo du temple d’Angkor Wat. Suite à cet ébahissement apnéique, je me souviens plus ou moins bien précisément m’être intéressée au Cambodge. Mais devant la difficulté d’apprendre la langue de ce pays par internet (vu le trou perdu où j’habitais, impossible de l’apprendre d’une autre façon, la frénésie des langues « rares » n’ayant encore vu sa naissance) , je me suis lâchement rabattue sur le Viet Nam, pays voisin qui par ma logique implacable, ne devait donc pas être très différent… Et surtout, la langue, usant de caractères romains, m’a semblé plus facile à apprendre aux premiers (trop rapides) abords.
Et puis à cette époque aussi, être Française, de parents purement français, n’était franchement le coté de moi-même qui me plaisait le plus. J’ai fait des recherches frénétiques dans l’arbre généalogique de mon paternel, je suis remonté jusqu’au XVIe siècle sans résultat : de son coté, j’étais toujours désespérément française pure souche. Concernant la généalogie hérédité de ma génitrice, il apparait que c’est le même cas. Provenant d’un petit village du profond haut-Doubs, il aurait été invraisemblable qu’un étranger vienne s’enterrer dans un îlot paysan pareil, même par amour du fromage, puis fonde une famille dont ma mère en serait une des descendantes.
Donc, disais-je, me rappelant à ma triste réalité : j’étais, selon moi, trop française. Il apparait aussi qu’à cette époque, je n’avais pas vraiment idée de ce que signifiait « être française » à part parler français. C’est pourquoi je suis entièrement d’accord avec notre cher président qui propose un débat sur cette question essentielle qu'est l’identité : poser la question de qu’est ce qu’être Français, c’est dissuader certains, par d’astucieux moyens, de vouloir devenir vietnamien.
Bien sûr, à l’époque, j’avais aussi déjà entendu parler de littérature et d’histoire française. Mais je n’avais pas vraiment fait la connexion entre ces deux composantes et mon identité. Je ne les portais pas en moi. Ou du moins, je ne sentais pas encore leur présence et leur poids en moi.
Donc, me transformer en vietnamienne, c’était de loin la solution la plus facile et la plus courante pour devenir « interculturelle ».
Il parait aussi que c’est dans le rejet qu’on se construit. Avant, j’ai rejeté la France parce que je construisais mon identité de Française. Est-ce que ça veut alors dire que si maintenant je me mets à rejeter le Vietnam c’est parce que je suis en pleine construction de mon identité de Vietnamienne ?
Je suis actuellement devant mon mur de Berlin (mur de France serait plus juste): le communisme qui sclérose le Viet Nam est en train de céder face à la République Française que je viens enfin d’accepter comme étant, bon gré malgré, mon monde.
Et c’est ici que tout commence…parce que tout s’écroule.