Existe-t-il une culture vietnamienne planétaire ?

Publié le par L'occidentale

Ceci est une dissertation rendue au premier semestre dernier, pour le cours intitulé : identité culturelle vietnamienne, dont le sujet est formulé dans le titre de cet article...


            Les vietnamiens de l’étranger sont des vietnamiens qui, pour des raisons économiques, politiques, sécuritaires, familiales etc… sont parti de leur pays natal. Par conséquent, ils y ont vécu, ils ont été imprégnés totalement de la vietnamité, de la culture vietnamienne.

Cette culture vietnamienne est composée de deux principaux éléments qui forment l’identité vietnamienne. Ce sont les composants, éléments presque « éternels » qui façonnent le destin, créant ainsi la communauté de destin vietnamienne, rassemblée autour de rite, de mentalité, de coutumes de longue durée et les constituants qui sont des caractéristiques « dynamiques », qui sont relativement récents dans la culture vietnamienne, et qui évoluent. Les composants regroupent donc les éléments diachroniques de la culture vietnamienne, ceux qui forment l’histoire, la communauté de destin tandis que les constituants, eux, en forment la partie synchronique, soit les éléments plus récents, du présent et de l’évolution récente de la culture vietnamienne, son coté évolutif. Il y a donc une partie constante de l’identité vietnamienne et une partie dont les éléments évoluent, se transforment, disparaissent, se renouvellent…

            Un vietnamien qui nait au pays nait dans la  « communauté de destin ». Il est baigné totalement et pleinement dans la culture et l’environnement vietnamien. Il est donc nourrit seulement de composants de l’identité vietnamienne et des constituants alors faisant partie de l’identité. De ce fait, un vietnamien qui quitte le pays pour une durée assez longue, emmène avec lui son identité, qui est donc faite des composants de toujours et des constituants d’alors. Ils sont vietnamiens pleinement. Mais une identité change au fil du temps, du moins ses constituants. L’environnement n’est plus totalement vietnamien. Les exilés côtoient certes leur famille. Leur environnement familial est donc vietnamien. Mais ils vont à l’école, à l’université, au travail dans leur pays d’accueil, côtoient des « autochtones » dans leur lieu de travail, les espaces publics…Et donc, côtoient une nouvelle culture. Face à cette nouvelle culture qui désormais fait partie de leur quotidien, qu’en est-il de l’identité culturelle vietnamienne ? se fait-elle absorber ? Si oui, qu’est ce qui demeure, qu’est ce qui disparait ? Est-elle modifiée par l’apport que peuvent trouver les vietnamiens dans la culture du pays d’accueil ? Comment se passe la cohabitation entre ces deux cultures ? Quelle en est l’alchimie ?

            Les vietnamiens qui partent à l’étranger se regroupent souvent en associations, formant ainsi plusieurs communautés au sein du pays d’accueil et aussi entre les différents pays d’accueil. Ce que partagent ces vietnamiens à l’intérieur de ces communautés, c’est justement leur identité vietnamienne.  Au sein de l’Union Général des Vietnamiens de France, (Hội Người Việt Nam Tại Pháp), cette identité est entretenue et préservée : des concerts de musique traditionnelle et populaire sont organisés, le Tết, fête populaire ancestrale, est organisée tous les ans par toutes les communautés vietnamiennes, des ouvrages sont écrits, (romans, essais, documentaires) en vietnamien et parlant du Việt Nam, le Việt Nam de ces Việt Kiều, des cours de danse et de musique traditionnelle sont organisés. La culture vietnamienne est donc toujours entretenue, utilisée, mise en valeur. Mais la question est double. Il en va de savoir si cette culture qui est remâchée n’est pas, consciemment ou non, mélangée avec des éléments de la culture du pays d’accueil, où en réaction à celle-ci. Et qu’elle le soit ou non, une autre question se pose toujours, celle de l’apport de cette culture vietnamienne de l’étranger dans la culture vietnamienne. Est-elle la même ? Si non, qu’est ce qui la différencie de la culture vietnamienne pure ? Quels constituants sont différents ? Lesquels ont disparus, lesquels se sont transformés ? Et surtout, quel(s) lien(s) sont entretenus entre cette culture vietnamienne « hải ngọai » (outre-mer) et celle « quốc nội » (intérieure) ? Quel est l’apport, la contribution des communautés des vietnamiens d’outremer dans l’évolution de la nature de l’identité populaire vietnamienne ? Et peut-on parler d’une culture vietnamienne planétaire ?

           

            Il faut tout d’abord noter qu’un apport est possible entre les vietnamiens de l’étranger et ceux de l’intérieur depuis l’ouverture du pays, en 1986, dans le cadre du Đổi Mới (politique de réformes en masse et d’ouverture progressive). Depuis lors, la communication entre les việt kiều (vietnamiens de l’étranger) et « les Vietnamiens du Vietnam » a pu être réellement établi et un apport ou tout du moins un échange, potentiellement possible.

            Ainsi, les Vietnamiens de l’étranger, organisés le plus souvent en communautés, entretiennent plus que souvent, un lien avec le pays. Un lien qui est de plus, particulièrement fort. Il se manifeste sous différentes façons : des programmes humanitaires, des échanges culturels (un artiste vietnamien est invité en France pour donner un concert pour la communauté vietnamienne par exemple), des créations d’entreprises où travaillent des « việt kiều » et des vietnamiens « quốc nội ».  Ces communautés, puisqu’elles portent ce nom, sont donc des rassemblements de personnes partageant  la même identité. Cette identité n’est pas figée. On a vu précédemment qu’elle était constituée d’éléments évolutifs, dynamiques. C’est justement ceux-ci qui évoluent lors de la cohabitation ou du côtoiement de la culture vietnamienne intrinsèque (les composants) aux Việt Kiều avec la culture du pays d’accueil et les constituants ou composants de cette dernière. Ils s’inspirent, intègrent et intériorisent

            On peut citer le cas de l’écrivain d’outremer, Xuân Vinh, dont l’une des nouvelles s’intitule « Hoàng Tử bé và tôi » (le petit prince et moi), où l’expression en quốc ngữ et l’apparition du moi (un composant et un constituant) est justement travaillé à la lumière du côtoiement de la culture vietnamienne de l’auteur et de celle de son pays d’origine. Ce livre, disponible au Viet Nam, diffuse les idées de l’auteur, sa vision des choses qui résultent sa vietnamité intrinsèque et de son appropriation de la culture française. A la lumière de cet exemple, on peut donc ainsi parler d’un apport d’idées, de visions du monde, de productions littéraires des Việt Kiều dans la culture populaire et la façon dont il interprète et revisite-celle-ci à travers d’autres cultures qu’ils ont intégrées. Les Việt Kiều peuvent apporter à la culture populaire vietnamienne une réflexion sur celle-ci, un approfondissement, d’autres interprétations et une évolution (en ce qui concerne les constituants seulement).  

Les productions artistes produites dans les communautés vietnamiennes hải ngọai s’inspirent des composantes ou découlent plutôt de celles-ci. Par exemple, Hương Thanh, une artiste née à Sai Gon vivant en France, a puisé dans sa vietnamité, dans les composants de l’identité culturelle populaire vietnamienne, la musique populaire vietnamienne, de son répertoire et de son langage, pour faire des œuvres musicales abouties, mélangeant donc des composants de l’identité vietnamienne mais aussi des éléments de la culture musicale d’une culture présente dans son pays d’accueil, le jazz. Cette artiste se produit ensuite dans son pays d’origine. Cette artiste est un des exemples de l’apport des Việt Kiều dans la culture vietnamienne. Elle se sert sa culture d’origine, en particulier des éléments diachroniques, pour la faire évoluer, lui apporter d’autres éléments (eux, synchroniques).

            Les Việt Kiều peuvent aussi apporter un regard sur leur culture, sur la culture vietnamienne. Ainsi, Trần Anh Hùng  revisite sa culture vietnamienne, donne sa vision de son âme à travers « L’odeur de la papaye verte ». Il insiste sur la dimension poétique de la culture, sur les composants (le travail, la piété filiale, la famille, le gout pour les diplômes…). Depuis l’ouverture du Vietnam, ce film peut être visionné et peut donc alimenter la culture vietnamienne en mettant en valeur ses composants et les constituants d’alors (soit des années 1950).  

             

On peut tout aussi bien prendre le cas de Dương Thư Hương et de son dernier roman, Au Zénith. Celui-ci peut apporter beaucoup à l’identité vietnamienne, et en particulier à ses composants. En effet, on peut considérer comme composant l’idéologie Ho Chi Minh (tư tưởng Hồ Chí Minh) et le mythe qu’est devenu ce personnage est rentré dans les figures populaires de l’identité vietnamienne. Le livre de Dương Thư Hương peut modifier ce composant car, de par la réputation de l’auteur, sa notoriété et l’autorité qu’elle peut incarnée face aux autorités communistes du pays, l’interprétation qu’elle en fait peut le remettre en question, l’amener à une évolution. On peut dire que dans son cas, la contribution des Viẹt Kiều à l’identité vietnamienne est une remise en question de certaines valeurs, de certains constituants et même composants.

            Cette contribution peut aussi être illustrée par le cas de la chanson chantée par Pham Quynh Anh, « Bonjour Vietnam ». Célèbre chez les vietnamiens d’outremer, elle l’est aussi chez les vietnamiens quốc nội. La revisitation de l’histoire vietnamienne, et notamment de l’histoire des Viet Kieu et de leurs sentiments et liens avec leur pays d’origine qu’introduit cette chanson est aussi un des apports présents des việt kiều dans l’identité de la culture, particulièrement dans ses constituants que sont les Việt Kiều. De même, Vũ Thư Hiên, dans son livre « Đêm giữa ban ngày », réécrit l’histoire, l’interprète et prête à l’identité culturelle vietnamienne le soin de se reconnaitre dans cette nouvelle version de l’histoire, qui remet en cause constituants comme composants.

 

Mais cette contribution peut donc conduire à une appropriation encore plus profonde de l’identité culturelle populaire vietnamienne par les vietnamiens, qu’ils soient việt kiều ou việt quốc nội.

 

            C’est cet apport, cette contribution qui unie les communautés vietnamiennes hải ngọai au Viet Nam et aux Vietnamiens quốc nội. Seulement, le terme même de contribution montre qu’il y a une différence entre l’identité culturelle vietnamienne hải ngọai et l’identité culturelle vietnamienne quốc nội. Le mot contribution introduit le fait que ces deux communautés ont quelque chose de différent, y compris en matière d’identité. Effectivement, elles ne partagent plus forcément les mêmes constituants. Ceux-ci ont évolués. Ils partageaient ses derniers alors que les futurs việt kiều étaient encore au pays. Mais le temps et les mentalités changeantes font évoluer la société et donc les constituants.  Ainsi, les constituants d’alors se sont transformés soit par une évolution « naturelle »  dans le cas des việt quốc nội soit par l’exil et la fréquentation d’un nouvel environnement dans le cas des việt kiều. Ce sont aussi les constituants de l’identité des différentes communautés vietnamienne hải ngọai qui sont aussi la source d’un apport à l’identité culturelle vietnamienne.  Ainsi, les femmes việt kiều peuvent apporter leur vision de leur statut aux femmes vietnamiennes restées au pays.

 

Mais le mot contribution implique aussi la notion de réseau. Celui-ci existe du fait des apports, des liens entre ces deux communautés. Et il existe justement parce qu’il relie des personnes qui partagent la même identité en tout cas, une partie de leur identité.

Les vietnamiens d’outremer et les vietnamiens du pays partagent l’identité culturelle populaire du Viet Nam dans le sens où ils partagent les composants de cette identité et c’est en grande partie par cela que l’on peut dire qu’il existe une identité vietnamienne planétaire. Ils se reconnaissent tous dans la piété filiale, le culte des ancêtres, l’utilisation du quốc ngữ écrit ou parlé, partagent majoritairement la même notion de la famille, du travail et de la réussite (qui se mesure en terme de diplômes).   

Par ailleurs, dans les composants, on trouve la notion de famille. Les Vietnamiens de l’étranger contribuent à l’évolution de la nature de l’identité vietnamienne dans le sens aussi où la font perdurer. On le remarque par le fait que la majorité, voire presque même la totalité des Viet Kieu envoient de l’argent à leur famille depuis l’étranger. On le voit aussi et surtout par les réseaux qu’ils mettent en place et les liens qu’ils entretiennent avec la patrie mère.

Si l’on reprend l’exemple de l’artiste Hương Thanh, on peut aussi dire qu’il existe une identité culturelle vietnamienne planétaire, qui a pour âme, les composants de la culture vietnamienne. Cela dit, c’est à nuancer en ce qui concerne l’appropriation de la culture vietnamienne par les vietnamiens d’outremer de la deuxième génération, soit ceux qui sont dans un pays autre que le Viet Nam mais de parents vietnamiens (c'est-à-dire dont les parents ont l’identité culturelle vietnamienne). En effet, dans Le Pêcheur et la Princesse, de Trần Minh Huy, on perçoit très bien la distance et presque l’indifférence que peut ressentir un enfant issu de parents vietnamien et la culture vietnamienne. Le lien est différent, l’héritage n’est pas toujours facile et ne se fait pas toujours bien : la distance et l’incompréhension est bien souvent trop grande. Cependant, il faut noter que cet enfant prendra aussi dans la vietnamité de ses parents, dans les composants de l’identité culturelle populaire vietnamienne pour se construire. C’est le cas de Lan, qui se construit à travers les contes et légendes populaires vietnamiennes.

Néanmoins, ce cas de figure est aussi à nuancer. En effet, l’Union des Jeunes Vietnamiens de France, (Hội Thanh Nhien Việt Nam tại Pháp) est la pour le prouver. Elle rassemble des enfants de việt kiều, pour lesquels elle organise des stages à l’université au Việt Nam, des chantiers humanitaires au Việt Nam, des camps d’été autour de la culture vietnamienne... Elle entretien et nourri le lien entre ces jeunes français et le pays de leur origine. Et en permettant à ces jeunes de côtoyer des jeunes du Viet Nam, elle permet une interaction entre les deux cultures.  

            Il faut aussi noter que cette planétarisation de la culture vietnamienne est aussi visible à travers l’existence de radios publiques en vietnamien dans différents pays de résidence des Việt Kiều. Ainsi, RFI et BBC diffusent quotidiennement non seulement des journaux d’informations mais aussi des reportages et des émissions culturelles… Portant souvent sur la culture vietnamienne. On voit bien ici le réseau entretenu par les communautés vietnamiennes entre elles, ses membres entre eux et aussi ses liens avec les Vietnamiens du Vietnam. De l’étranger, elles diffusent en vietnamien, des émissions culturelles sur la culture vietnamienne, ses composants comme ses constituants et en cela, on peut parler d’une planétarisation de la culture vietnamienne.

            Ces radios, dont les programmes et leur contenus sont dirigés par les việt kiều, tendent non seulement à relier les membres des communautés entre eux, mais aussi les communautés entre eux autour du Việt Nam et surtout de l’identité culturelle vietnamienne, mais on aussi pour ambition d’entretenir, de cultiver, de véhiculer cette dernière.

On peut donc dire parler d’une culture vietnamienne planétaire, d’autant plus que chaque communauté vietnamienne, que ce soit celle de Sydney, de Paris, de Marseille, de Prague, de Savannakhet, ou des Etats-Unis entretient sa vietnamité, qui est commune à celle de toutes autres communauté vietnamienne.  Mais on peut aussi parler de cultures vietnamiennes planétaire car d’une communauté à l’autre, les constituants de cette vietnamité ne sont pas les mêmes ou ne sont pas vécus et interprétés de la même façon.

 

Comme le dit Nguyễn Mộng Giác, dans son livre Nghĩ về văn học hải ngọai (réflexions sur la littérature outre-mer » : « Số phận của đất nước, hoàn cảnh cá nhân đày đọa mỗi người định cư và chịu những ràng buộc xã hội khác nhau. Giá trị của từng cá  nhân là phần đóng góp của người đó cho dân tộc và nhân loại, không phải căn cứ vào yếu tố địa lý. Và phần đóng góp này đôi lúc không dựa vào nhân cách vì một nhân cách xứng đáng sẽ ảnh hưởng lên nhân quần và thế hệ tiếp nối. »

 

Publié dans Dissertons...

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V
Très bon article !
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V
<br /> Vraiment supers intéressants tes articles et d'une grande maturité je trouve..j'essaierai de me procurer ton livre.<br /> <br /> Et sinon avec humour pour répondre à ta question "y a t'il une culture vietnbamienne planétaire" ou universelle? ouiii : ca s'appelle le Pho lol<br /> <br /> Bonne continuation<br /> <br /> <br />
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